L’appel aujourd’hui, c’est vraiment de rejoindre le désir des jeunes, mais un désir qu’il s’agit finalement d’orienter vers un « servir ». Le temps des jeunes aujourd’hui, c’est quand même, je le pense encore et est-ce que nous en sommes persuadés, un temps d’attente ; comme vous, c’était un temps d’attente. Mais pour vous, c’était un temps d’attente à travers des engagements relativement clairs dans la société. Aujourd’hui, c’est un temps d’attente dans des engagements multiples et qui se cherchent, un temps d’espoir malgré tout, C’est vrai que, aujourd’hui, les jeunes sont marqués par les réponses qui n’arrivent pas tout de suite, dans un centrage précisément, parce qu’on n’est plus aussi évidemment dans des utopies collectives, donc dans un individualisme ambiant aussi.
Recherche
Il n’y a pas de perspectives claires, donc on est plus facilement centrés sur soi-même, sur sa tribu, sur ses groupes d’amis, sur les groupes avec lesquels on se retrouve régulièrement, sur ceux avec lesquels on est en relation via l’ordinateur, via le portable. On cherche, on cherche quelque chose sans le trouver, alors on zappe d’un centre d’intérêt à un autre. Mais il y a des passions là-dedans, des passions certes éphémères, mais des passions. On se connecte, on cherche à trouver un sens et on voudrait arriver à une réussite ; on voudrait finalement trouver quelque chose, trouver un lieu où on est soi-même. Et, par certains côtés, je pense que l‘itinéraire d’Ignace, c’était bien de trouver l’itinéraire pour lui-même, d’être soi-même, de vouloir être reconnu, être reconnu dans l’exercice des armes, être reconnu dans sa volonté de séduire, d’être aimé ; il a même essayé de séduire Dieu par ses exploits ascétiques. Je pense qu’il y a quelque chose de cet Ignace jeune aujourd’hui, mais l’expérience qui se vit dans le chemin spirituel de Manrèse et dans votre chemin à vous aussi, c’est passer de ce désir d’être reconnu, de trouver sa place, d’être aimé, ce désir originel, ce désir un peu narcissique finalement, à l’appel à un service : c’est-à-dire d’aimer soi-même en retour, qu’il y ait un échange comme dans la « Contemplation pour parvenir à l’amour », un échange de liberté entre l’homme et son Créateur. En reconnaissant tout ce qu’on vit à travers nos autres recherches, à travers tous les biens qui nous sont donnés, avec toutes les découvertes que l’on fait, avec les rencontres que l’on fait, à travers tous ces dons reçus, offrir ce désir pour le faire vivre dans le service, un service qui se met dans des actes, pas seulement dans des paroles, un service qui se vit dans la communication avec Celui qui donne.
Joie
L’appel, c’est se réjouir de ce qui est donné, pour le rendre : « Réjouis-toi, jeune homme ». « Réjouis-toi, jeune homme, au temps de ta jeunesse, n’oublie ton Créateur au temps de ta jeunesse. » Faire découvrir que ce service, c’est une source de joie, une joie de servir les choses créées. Faire venir les jeunes, finalement, à ce point zéro qu’est « Le principe et fondement » qui définit la fin de tout homme : « L’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu ». Et Dieu n’a pas manqué de lui donner des tas de choses dans sa vie, de l’aide, toutes les choses créées afin de l’aider à cela. Ce que vivent les jeunes, ce que vivent les gens aujourd’hui, ça peut être très bon, c’est donné à l’homme pour l’aider, pour arriver à cette fin de la louange ensemble, du service ensemble. Il faut user de cette liberté, user des choses qui sont données. Dans « Le principe et fondement », il n’y a pas simplement se dégager des choses, il y a d’abord en user. Il ne faut pas en faire des idoles, mais en user : les choses matérielles, mais aussi les choses spirituelles, les relations aux autres, l’amitié, l’amour, se servir des médiations.
désir
Donc le premier lieu de l’appel aujourd’hui est un accompagnement sur ce passage du désir au service : s’appuyer sur le dynamisme de la jeunesse, sur leur générosité, sur l’attente au présent, sur leur espoir, parfois sans calcul, parfois pas très sérieux, mais qui est là cependant. Il y a un talent, un talent qu’ils ne peuvent pas enterrer : y risquer leur liberté là-dedans en trouvant les bonnes relations avec d’autres, en travaillant sur les lieux où ils sont, d’engagements qui sont différents des nôtres, peut-être. Il y a un bien commun qui est en jeu, qui est à servir dans leur engagement professionnel, dans leur engagement citoyen, et aussi, peut-être, dans ce qui est du repos, c’est-à dire de la distance, de la célébration, rendant quelque chose qui est de l’ordre d’une louange commune au commun Créateur, en vivant fraternellement un temps gratuit de la contemplation et de la fête, Je crois que l’appel aujourd’hui, pour les jeunes, ça passe aussi beaucoup par là : les temps de contemplation et de fête, quand on donne à se déployer le partage festif. Quand les jeunes de 18/30 ans animent la messe dans ma paroisse, cela dure plus longtemps que les messes habituelles, parce qu’il y a besoin de célébrer cela. Et ainsi, sur ce lieu-là d’un chemin où on n’enterre pas son talent mais où on le fait advenir comme un service, on devient réellement ce que l’on est. Donc, il y a besoin d’accompagnement pour découvrir cela, aider à aller au bout de ce que l’on porte, dans ses relations, dans ses engagements quels qu’ils soient, dans son travail, dans sa relation au quartier, dans ses célébrations, aller au bout de ce que l’on porte, aider à le relire.
L’appel aujourd’hui : il faut plus que jamais être capable de rencontrer les jeunes sur ces lieux-là de désir d’être eux-mêmes, pour arriver à un service en accompagnant ce chemin.
Repères
Deuxième lieu qui me semble important pour l’appel aujourd’hui : c’est d’être capable de leur offrir des balises pour se retrouver, pas seulement se trouver, c’était mon premier temps, mais aider à se retrouver. Parce qu’ils sont dans un monde, nous sommes dans un monde où on est confrontés à des difficultés, à des épreuves, à des échecs. On est confrontés à des règles extérieures, mais précisément ça, c’est une traversée à travers des moments où on a eu l’impression de ne pas se trouver, où on n’a pas bien usé des moyens qui nous étaient donnés, où on a été en échec, où on a des difficultés par rapport aux règles que l’on se donne, y compris dans la SVE. Sur cette traversée, sur ce chemin-là, on a besoin de se laisser réconcilier avec Dieu parce qu’on est passé par des épreuves, parce qu’on est passé par des péchés, on est passé par des infidélités, et le Dieu que l’on rencontre, c’est le Dieu créateur, mais aussi le Dieu rédempteur qui fait devenir nouveau, qui fait se retrouver nouveau. Je pense que pour les jeunes d’aujourd’hui, il y a besoin de les aider à vivre cette traversée, communautairement aussi : les célébrations, le temps qu’on y donne, la place qu’on y donne, la manière de se retrouver ensemble, pardonner ensemble ; ayant traversé cela, vivre des moments de vie fraternelle aussi où on assume ses faiblesses, ses capacités d’illusion, mais aussi sa disponibilité à répondre à l’appel, tout ce qui se joue dans les relectures que vous faites, qui considèrent le passé, les lieux où l’on est, mais avec un avenir ouvert. Il faut voir que la société est aussi lieu théologique.
Donc, dans un premier temps, l’appel, c’est d’abord un accompagnement pour passer du désir au service, c’est-à-dire à retrouver le fondement de ce pourquoi ils sont créés, le fondement de ce qu’ils sont, pas une carapace extérieure, mais quelque chose de plus personnel.
Deuxièmement, c’est sur les lieux de traversée dans leur vie et beaucoup aujourd’hui, me semble-t-il, sur les lieux d’engagements différents des nôtres mais de présence aux fractures, de découverte qu’il y a une traversée qui se joue.
Enfin, troisième importance pour l’appel d’aujourd’hui, c’est le passage et, pour certains plus compliqué, le passage différent à l‘engagement. Parce qu’il y a une vocation réellement qui se joue là-dedans : passer à un « Je veux » ; passer de ce que l’on cherche comme le jeune homme riche : « Tout cela, je cherche à le faire » à : « Quelque chose te manque ». L’appel à trouver ce « », c’est de suivre quelqu’un, c’est de suivre le Christ qui est le chemin qui mène à la vie, ne pas être sourd à l’appel du Roi. Permettre d’entendre celui qui appelle là-dedans. Le Christ appelle, et se dire : « Tiens ! J’ai une vocation », quelle qu’elle soit, celle des disciples, celle de Zachée, celle de suivre Jésus ou celle d’être chez soi comme Zachée. Comme dit Madeleine Delbrêl, il y a les gens des maisons et les gens des rues. Mais comment accompagne-t-on cette écoute, une recherche de vocation quelle qu’elle soit ? Pour dire un « Je veux », ça, c’est compliqué aujourd’hui. Est-ce que c’est du volontarisme ? Mais la volonté, elle est aussi par certains côtés une faculté d’affectivité, pas simplement d’effectivité. Simplement, à un moment, il faut pouvoir dire « Je veux » comme dans l’offrande dans l’appel du Roi : « Je veux et je désire ». Le désir sans la volonté peut-être vain, mais le désir, c’est le vent qui pousse les voiles, ce qui fait avancer et, du coup, un « Je veux », c’est se donner un gouvernail qui oriente, sinon on risque d’empanner. Accompagner ces vocations, découvrir que chacun a une vocation, le passage à un « Je veux », c’est peut-être, me semble-t-il, l’élément le plus complexe, le plus lent, le plus difficile aujourd’hui.
Extrait d’une conférence donnée par Bertrand Cassaigne, sj
2 et 3 décembre 2017
Approfondissement
Est-ce que dans nos appels vis-à-vis des jeunes, il y a de cette réjouissance qui se joue ?
De quelles manières, je passe du « désir au service » ?
Comment suis-je attentif à l’émergence des vocations, quelles-qu’elles soient ?