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Dilexit te est le premier texte signé du pape Léon XIV se situe dans un esprit de continuité avec son prédécesseur le pape François.Il reprend une ébauche préparée par le pape François durant les trois derniers mois de sa vie. Son désir était de prolonger l’encyclique « Dilexit nos » centrée sur le Cœur de Jésus.En effet, la contemplation de l’amour exprimé par le Cœur de Jésus nous renvoie à l’amour envers les pauvres. Ainsi notre amour envers Jésus-Christ est indissociable d’une amitié envers les personnes défavorisées, mises au ban de la société pour diverses raisons.

Un texte pour nourrir notre mission en plein monde

Pour notre famille Cor Unum attachée à la spiritualité du Cœur de Jésus, nous avons là encore un texte important pour nourrir notre mission en plein monde. Quels en sont les accents principaux ? Il ne s’agit pas dans cet article de résumer les cinq chapitres de ce texte mais de souligner ce qui nous semble particulièrement intéressant et innovant, soit un approfondissement de toute notre tradition catholique et la mise au clair des nombreux défis à relever.

S’enraciner dans la tradition scripturaire et ecclésiale

Cet aspect habituel dans tout discours pontifical nous amène à cultiver notre mémoire et surtout à enraciner « l’option préférentielle pour les pauvres » dans l’amour de Dieu pour les pauvres et la vie de Jésus-Christ. Cette plongée dans la tradition couvre une large partie de cette exhortation puisque les chapitres deux, trois et quatre y sont consacrés. Au fil de ce qui pourrait paraître un simple rappel, se dégage l’insistance du défi permanent que représente la présence des pauvres en tout temps et toute société, ainsi que l’appel pressant de Dieu à écouter leurs cris.

Amour de Dieu et amour des pauvres

« On ne peut aimer Dieu sans étendre son amour aux pauvres. » (n°26) : tel est le fil directeur de la présentation des œuvres ecclésiales qui ont jalonné l’histoire par le soin aux malades, l’éducation des enfants, des filles. Et le partage avec les plus démunis attesté dès les Actes des Apôtres (Ac 6, 1-6). Toute la vie monastique assure aussi la synthèse entre le service de Dieu et le service du pauvre accueilli de manière inconditionnelle. La multiplicité des figures des fondateurs et fondatrices manifeste ici la créativité d’une charité ecclésiale qui agit en fonction des nouvelles pauvretés de leur époque.

Dans la pensée des Pères de l’Église

Parmi celles-ci, Léon XIV met en lumière Saint Augustin (n°43-48). Nourri de la pensée des Pères de l’Église, Augustin montre que « l’aumône est le rétablissement de la justice et non un geste paternaliste » (n°43), et que la communion ecclésiale suppose une communion des biens au service de tous. Notre pape, religieux augustinien, est donc pétri ce cette pensée où le pauvre est « présence sacramentelle du Seigneur » (n°44) et il appelle à approfondir cette primauté de l’attention aux pauvres dans la vie chrétienne.

Les pauvres au centre de la vie du monde

Autre point mis à l’honneur : le tournant provoqué par les ordres mendiants qui ont réagi contre l’opulence de l’Église et remis les pauvres au centre de leur vie. Un temps de conversion ecclésiale en a découlé, ce qui peut nous inspirer encore aujourd’hui ! (cf. n° 63ss). ll s’agit là d’un modèle d’« Église pèlerine, humble et fraternelle qui vit parmi les pauvres non par prosélytisme mais par identité. Les Pères de l’Église enseignaient que l’Église est lumière lorsqu’elle se dépouille de tout » (n°67).

A chacun de lire et de méditer les exemples apportés pour chercher comment vivre cette fidélité à Dieu qui aime d’un amour préférentiel les plus fragiles. Les défis ne manquent pas. Léon XIV les met en clarté dans son dernier chapitre et les avait annoncés au début de l’exhortation. En voici une présentation autour d’un axe essentiel d’après ma lecture : approfondir notre lien aux personnes en difficulté.

Approfondir nos liens aux pauvres : un défi fondamental

S’ouvrir à la Révélation par nos liens aux pauvres

Ne nous trompons pas, le lien aux pauvres n’est pas une option dont nous pourrions nous passer ou une action simplement positive car « Nous ne sommes pas dans le domaine de la bienfaisance mais de la révélation » (n°4). Qu’est-ce-que cela veut dire ? En vivant auprès de personnes marginalisées, souffrantes, nous apprenons à connaître des personnes proches de Jésus-Christ. Nous apprenons la compassion qui habite le cœur de Dieu, nous entrons dans les sentiments et l’agir de Jésus. Cette fréquentation nous permet d’entrer un peu mieux dans la révélation de l’amour de Dieu pour toute l’humanité sans exception. Ce faisant nous permettons à cette Révélation de se manifester dans le monde d’aujourd’hui.

Se renouveler par le choix prioritaire des pauvres

Le pape Léon s’engage parfois dans son exhortation en utilisant le pronom « Je », ainsi nous avons cette phrase :

« Je suis convaincu que le choix prioritaire des pauvres engendre un renouveau extraordinaire, tant dans l’Église que dans la société » (n°7)

Cette affirmation a été étayée par l’histoire de l’Église, en particulier le tournant des ordres mendiants mais pas seulement. L’Église d’Amérique latine a un rapport aux pauvres particulièrement développé. Si le choix prioritaire des pauvres est aujourd’hui présent dans la doctrine sociale de l’Église, il a été élaboré dans ce continent et encore rappelé dans le document d’Aparecida (2007).

Pour Léon XIV, il est clair que le renouveau de l’Église passe par une proximité authentique aux pauvres. « Une Église fidèle au cœur de Dieu » (n°103) se fait proche des pauvres, passe du temps avec eux, « en cherchant à partir d’eux à transformer leur situation » (n°104). Les pauvres ne peuvent être considérés comme des objets de bienfaisance mais comme des sujets acteurs de leur propre histoire (cf. n°99).

Le « à partir d’eux » est une invitation à une conversion profonde de notre rapport aux personnes en difficulté. Il ne s’agit plus de faire pour les autres en pensant leur bien à leur place. Cela suppose la patience et l’humilité de ne pas savoir pour apprendre d’eux. Ce positionnement pose le défi de sortir de nos préjugés parfois inconscients qui nous empêchent de voir la richesse de ces personnes.

Ce point est fortement étayé par le fait qu’en tant que chrétien nous n’abordons pas les pauvres comme un problème social mais comme des frères en humanité. Leur dignité est toujours là parce que aimé de Dieu et sauvé par Notre Seigneur (cf. n°106).

Réajuster nos structures sociales à partir des pauvres

Une société qui tourne le dos aux pauvres, aux personnes souffrantes est une société malade. C’est une société qui cultive l’indifférence et se replie sur l’acquisition de biens de consommation. Les structures sociales sont alors mises au service de cette consommation et non au service du bien commun. Il s’agit là d’un péché social où les structures elles-mêmes engendrent la croissance des inégalités.

Ce défi pour bâtir des structures sociales justes est bien l’affaire de tous, y compris des hommes politiques. Le pape Léon XIV, très marqué par ses années au Pérou, par toute la pensée développée par les conférences épiscopales de l’Amérique latine (Medellin, Puebla, Saint-Domingue, Aparecida) affirme avec vigueur qu’il nous faut lutter avec les pauvres pour une société plus juste (cf. n° 90-93). Si la notion de « théologie de la libération » n’est pas directement mise en avant, le message de Léon XIV se situe bien en résonance avec elle, en lien avec la manière dont son prédécesseur le pape François l’avait fait.

Prendre conscience de la montée et de la diversité des formes de pauvreté est aussi un défi. Dès le premier chapitre, le panorama est dressé en ces termes : « Dans un monde où les pauvres sont de plus en plus nombreux, nous assistons paradoxalement à la croissance de certaines élites riches, confortables et luxueuses » (n°11). La montée de la pauvreté préoccupe notre Pape tant dans les pays pauvres que prospères comme l’Europe. Il souligne les formes multiples que prend la pauvreté en particulier celle des femmes (n°12).

De plus, aujourd’hui, le problème des migrations teste la solidité de nos sociétés et de nos démocraties. Elles sont mises au défi d’« accueillir, protéger, promouvoir et intégrer » (n° 75) les personnes migrantes ou réfugiées. Ces quatre verbes disent l’ampleur de la mission devant laquelle nous ne pouvons nous dérober.

Les pauvres au cœur de la vie ecclésiale

Cette exhortation dont l’écriture avait été entamée par le pape François remet les pauvres au centre de la vie ecclésiale avec la conviction qu’il en va de notre fidélité à Dieu et du renouvellement de l’Église. De plus, ce recentrage nous remet dans l’orientation voulue par le Concile Vatican II qui désirait une Église « pauvre avec les pauvres », une Église ressemblant à son Seigneur. Notre monde a besoin d’une telle Église qui « ne met pas de limites à l’amour » (n°120).

Gwennola Rimbaut, SVECJ

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