Jean-Luc Fabre, sj est membre de l’équipe d’animation du centre spirituel jésuite du Châtelard, à côté de Lyon. Il donne ici quelques pistes pour faciliter la prise de décision en commun et pour pouvoir ainsi faire face à notre situation ecclésiale actuelle.
Dans un premier temps, il nous propose de nous situer par rapport au geste inaugural et fondamental de notre foi qui consiste à se laisser tous rassembler puis il propose une manière de prendre conscience de nos différences et de voir comment nous pouvons les articuler positivement entre elles.
UNE DÉCISION : Se laisser rassembler par le Christ
Avoir un horizon commun, nous permet d’avancer ensemble. Aujourd’hui, nous sommes devant de grands défis aussi bien dans notre Église, qu’au sein de la société. Aussi, est-il important de se souvenir que le geste inaugural et fondamental de notre suite du Christ est de se laisser rassembler. Chacun d’entre nous a sa propre manière de voir. C’est en la confrontant à celles des autres dans l’ouverture que nous pouvons nous laisser rejoindre par les autres et inventer des solutions respectueuses de tous.
L’Église fait face à trois crises
- celle de ces effectifs qui rejaillit sur son organisation,
- celle des abus tous ordres (sexuels, financiers, pouvoir)
- celle de l’effritement de sa reconnaissance sociale. L’Église a, en effet, perdu son poids au sein de la société française. Elle n’est plus l’élément majeur et structurant de la société en France.
Être présent dans la rencontre
Dans cette situation, dans cette épreuve multiple que l’Église traverse, il est important comme attitude spirituelle première de savoir être présents. Vous, membre de la SVECJ, vous le savez, vous en faîtes l’expérience dans vos équipes, vos engagements en plein monde. Beaucoup de choses se passe à l’occasion de rencontres. Il est indispensable de savoir être présents dans l’épreuve.
L’opportunité de la présence
Par cette présence, il y a des choses qui se débloquent, qui se remettent en route. Elle permet de tisser quelque chose de nouveau. Dans cette attitude, il y a quelque chose de l’ordre de la sainteté (la sainteté consiste à vrai dire à être capable de répondre à la situation bien plus que de répondre à un code a priori) et du service, en son sens plénier.
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Disponible pour servir
Servir ce n’est pas faire quelque chose pour quelqu’un c’est d’abord « être avec » (servir dans un régiment). Le serviteur est avant tout celui qui est avec son maître. Il y a un risque en tout service de faire et non d’être présent. Servir, en ce sens, c’est la première étape de l’amour. Après, dans cette présence, nous avons à voir comment être ensemble, à la bonne distance, et alors à notre juste place, nous pourrons nous parler vraiment. Servir est un des trois verbes (avec louer et respecter) qui dans le Principe et Fondement des Exercices Spirituels de saint Ignace expriment la vocation de l’être humain.
Blocage et ouverture
Nazareth
Le geste inaugural de la mission de Jésus tel que Luc le présente en 4, 21 dans la synagogue de Nazareth : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. » manifeste tout aussitôt une situation de blocage. Jésus n’est pas reçu dans sa proposition d’entrer en relation avec lui comme le propose l’actualisation de la prophétie d’Isaïe, il est ramené à une identité qui enferme « N’est-ce pas le Fils de Joseph ? » (v.22). Il est ainsi renvoyé à son identité familiale. Le rassemblement des personnes ne peut pas se faire. Jésus continue son chemin.
Capharnaüm
Ensuite après la journée à Capharnaüm, où il enseigne et guérit abondamment quiconque lui en fait la demande, il refusera de continuer au même endroit et ira plus loin annoncer la bonne nouvelle aux autres villes. Là, avec ceux qui sont avec lui, Jésus n’est pas confronté à un refus, mais une ouverture trop limitée.
Nous percevons toutefois bien que l’humanité ne peut arriver à sa véritable identité elle-même que si elle est rassemblée, que si elle se laisse rassembler. Cela se produira après la mort et résurrection du Seigneur.
La naissance de l’Église
Une question doit nous travailler pour réaliser l’étendue de la chose : « Pourquoi donc les Apôtres en Actes 1 choisissent-ils de continuer en redevenant les « Douze » ? Ils ont tous trahis, l’un d’eux s’est suicidé. Le groupe ayant vécu un tel échec serait voué à disparaître.
Mais, le Christ ressuscité leur est apparu. À travers cela, ils ont reçu son pardon et donc le Christ les a ouverts à un nouvel horizon, à une promesse. A alors été entamé par le groupe lui-même un travail d’unité et de réconciliation. Celui-ci se manifeste par l’élection de Mathias avec lequel se refait l’unité du corps des Douze. C’est cette même démarche qui est au cœur du n°53 des Exercices Spirituels entre Jésus et le retraitant, un nouvel horizon non plus seul, mais à deux :
Me représentant Notre-Seigneur Jésus-Christ en Croix devant moi, je lui demanderai dans un colloque comment, étant le Créateur de toutes choses, il en est venu jusqu’à se faire homme; comment, possédant la vie éternelle, il a daigné accepter une mort temporelle et la subir réellement pour mes péchés. Puis, me considérant moi-même, je me demanderai ce que j’ai fait pour Jésus-Christ, ce que je fais pour Jésus-Christ, ce que je dois faire pour Jésus-Christ. Et, le voyant ainsi attaché à la Croix, je ferai les réflexions qui se présenteront à moi.
la décision de se Rassembler autour d’une même table
Nous avons à être tous dans un rassemblement, une présence de plus en plus totale. Ce qui est le plus profond dans le cœur de Dieu, c’est que nous puissions partager la même table. Nous avons des difficultés à concilier des manières de voir, de nous situer.
Ignace, pour cheminer dans l’existence, encourage à toujours bien distinguer les choses au début de toute démarche et à découvrir alors ce qui les lie entre eux. Nous avons des difficultés à concilier des manières de voir, de nous situer. La prière des 5 sens si nous la pratiquons peut nous aider à bien comprendre cette démarche. La démarche ignatienne, c’est d’apprendre à distinguer pour découvrir le passage de l’esprit dans ce qui nous arrive.
Trois horizons pour comprendre comme se fait ma décision
Une méthode développée par Bill Sharpe est une aide pour discerner un horizon commun pour avancer. Elle nous donne un outil pour comprendre comment chacun de nous pensons l’avenir.
Il y a trois manières de penser le futur qui sont interdépendantes et évoluent en fonction des situations et du temps. Cette méthode nous permet d’agir avec plus de compétence, de liberté et de créativité dans le présent, à la fois individuellement et collectivement.
Les trois futurs sont toujours là présents comme des germes dans le présent… Dans un temps plus ou moins « malléable » pour chacun d’eux, ils caractérisent 3 orientations qualitativement différentes de l’avenir dans le présent.
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- Le premier horizon – H1 –
C’est le système dominant à l’heure actuelle. Il représente le “business as usual”. Nous comptons sur la stabilité et la fiabilité de ces systèmes. Mais au fur et à mesure que le monde change, certains aspects du “business as usual” commencent à ne plus être à leur place ou à ne plus être adaptés. Finalement, le “business as usual” sera remplacé par de nouveaux modèles d’activité.
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- Le troisième horizon – H3 –
Il apparaît comme le successeur à long terme du “business as usual”. Il se développe à partir d’une activité marginale dans le présent. Elle introduit des façons complètement nouvelles de faire les choses. Mais, elles s’avèrent bien mieux adaptées au monde qui émerge que les systèmes H1 dominants. Son émergence n’est jamais évidente.
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- Le deuxième horizon – H2 –
C’est un modèle d’activités de transition et d’innovations. Les gens essayent des choses en réponse à la façon dont le paysage change. Certaines de ces innovations seront absorbées par les systèmes H1 pour les améliorer et prolonger leur durée de vie (nous les appelons “H2 moins”), tandis que d’autres ouvriront la voie à l’émergence de systèmes H3 radicalement différents (nous les appelons “H2 plus”).
Une application concrète la communauté jésuite de Vanves
Cette communauté jésuite de plus de cinquante membres. C’est à la fois une maison qui accueille des jésuites en formation, des compagnons dans divers ministères et d’autres âgés qui résident au sein d’un EHPAD. Le COVID est venu provoquer une réflexion sur le projet de communauté notamment grâce au jardin qu’elle possède. Certains des jésuites ont eu la perception que ce jardin devrait être davantage ouvert vers les autres habitants de Vanves.
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- Horizon 1
C’est une communauté qui tourne même si elle est renouvelée à 25 % chaque année. Il y a une diversité de profils, de langue, de situation (qui pèse sur chacun à savoir arrivée en France, acquisition de la langue, gros travail du mémoire fin d’études, attente de l’ordination et de la future première mission…). Chacun est sur son chemin personnel et cela se traduit par une perte de vitalité communautaire. Il y a un risque d’embourgeoisement.
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- Horizon 3
Être ouvert, être relié, entre nous (Ehpad et « actifs ») mais aussi avec notre environnement, la paroisse, la municipalité, l’école catholique, les communautés religieuses… Nous avons à améliorer notre propre relation à la nature et à proposer un projet clair.
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- Horizon 2
Le repas annuel traditionnel avec ceux avec qui nous coopérons a été organisé dans cette perspective H3 sous un tout autre cadre: La décision est prise qu’elle se déroule en journée et non en soirée, en juin et non en janvier, dans le jardin et non dans les salles du rez-de-chaussée de la maison. C’est une ouverture communautaire et non en relation exclusive avec ceux que nous connaissions. Une présentation en acte de la vie de la Communauté par la visite du jardin amplifie cette ouverture… Ce temps a été promesse pour une évolution plus forte de nos manières d’être et de faire.
Le mécanisme de la décision via les 3 horizons
Ce qui est souhaitable pour bien comprendre la logique des trois horizons et de me situer parmi eux, c’est de pouvoir relire des évolutions de situations vécues personnellement. Après avoir choisi une situation vécue je m’attache à bien repérer les protagonistes de la situation. Ensuite je caractérise ma manière de faire dans la prise de décision
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- Est-ce que je puis caractériser ma manière d’être, de faire durant cette évolution a posteriori ?
- En quoi était-elle juste ou non en fonction de la nouvelle situation ?
- En quoi elle a été aidante ou non pour le collectif ?