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Pierre de CloriviereLa période de la Révolution française créa beaucoup de confusions dans les esprits, tant dans le clergé que chez les fidèles. P. de Clorivière, avec son sens aigu du discernement, s’est fortement investi pour aider ses contemporains à être clairvoyants, pour fustiger ceux qui se fourvoyaient, et remédier aux égarements.

Clorivière invite à la repentance

Ainsi exhorte-t-il des Carmélites qui avaient prêté le serment de ‘Liberté – égalité ‘en 1792 et qui avaient participé des offices célébrés par des prêtres « schismatiques » comme il les appelle, à se repentir pour le scandale qu’elles avaient occasionné en reniant leurs vœux, à s’abandonner toute confiance à la Providence, et à réparer financièrement les torts causés. Il dénonce également les « prêtres qui ont solennellement abjuré leur sacerdoce, les évêques leur caractère épiscopal, un grand nombre de chrétiens, des hommes faibles, qui ont perdu le peu de courage qui leur restait ».

Nous savons par ailleurs, le retentissement positif qu’avait eu son sermon du 25 mars 1790 qui lui avait occasionné un interrogatoire musclé par le maire constitutionnel, l’ex – abbé Jean-Baptiste Gauttier, suivi de menaces qui l’avaient contraint à démissionner de son poste de recteur du séminaire de Dinan.

Clorivère et la confiance en l’Église

Les circonstances difficiles et les défections des chrétiens, évêques, prêtres, laïcs, n’ont cependant pas fait perdre à notre jésuite sa confiance en l’Eglise. C’est d’ailleurs pour la revivifier que lui était venue l’intuition de ses deux fondations.

«L’Église est aussi appelée l’Épouse de Jésus-Christ, Jésus-Christ est son Époux. Le nom de Corps de Jésus-Christ marque l’union intime, l’espèce d’identité morale qu’il y a entre eux, Jésus-Christ et son Église »

L’Église, épouse du Christ

Parmi les textes que nous possédons de notre fondateur, ses explications des Lettres de saint Pierre sont parmi les plus profonds. Il y développe sa théologie de l’Eglise qui est très biblique : elle est l’Epouse du Christ, son Corps mystique, un Peuple sacerdotal, animé par l’Esprit Saint.

Clorivière résume sa pensée sur l’Église en disant que « elle est le corps de Jésus-Christ ; les fidèles, dont l’Église est composée, sous les membres de ce corps ». Il développe alors sa pensée en précisant que « l’Église est aussi appelée l’Épouse de Jésus-Christ, Jésus-Christ est son Époux. Le nom de Corps de Jésus-Christ marque l’union intime, l’espèce d’identité morale qu’il y a entre eux, Jésus-Christ et son Église ».

Une Église qui se reçoit de la Trinité

Cette Église est trinitaire car « Jésus-Christ l’anime de son Esprit, lui communique sa grandeur, son excellence, son pouvoir. Elle ne reçoit ses qualités que pour en faire un continuel hommage à Celui dont elle les reçoit. Elle ne vit, elle n’agit que par Lui et pour Lui ; elle n’a pas d’autres sentiments que les siens. »

M’est avis que le Christ et l’Église, c’est tout un.

Le Christ et l’Église, c’est tout un. Si Clorivière se dévoue totalement pour servir l’Église, jusqu’au martyre si nécessaire, c’est parce que l’Église est le Christ. Il en développe abondamment dans ses écrits sa vision. Les thèmes s’entremêlent souvent en détaillant les aspects différents, comme c’est habituellement le cas dans ses méditations. Elle trouve son ciment dans l’Esprit qui l’anime, dans ses enfants qui sont nés de ce souffle de l’Esprit.

Une Église sacerdotale

Nous nous bornons dans cet article à la dimension sacerdotale de l’Église, un développement surprenant dans le contexte doctrinal du 18e siècle, mais sans doute plus familier pour nous aujourd’hui.

Un peuple sacerdotal

Cette expression biblique est couramment utilisée par notre fondateur. Elle imprègne fortement les rapports entre l’Église, peuple de Dieu, et chacun de ses membres. L’expression « peuple sacerdotal » n’est utilisée qu’à propos du peuple chrétien. Il est le seul à avoir un caractère sacerdotal. Et ce sacerdoce est royal par ce qu’il est « participation au sacerdoce de Jésus-Christ, qui est tout à la fois Pontife, Roi et Prêtre éternel ».

L’expression « peuple sacerdotal » est typique des lettres de saint Pierre, alors qu’aujourd’hui, nous parlons plus volontiers « sacerdoce des fidèles » ou des « laïcs », mais il s’agit de la même réalité. Dire que l’Église est peuplé de Dieu, c’est insister également sur la participation active de tout baptisé à la vie et à l’unité de ce peuple.

« L’Eglise est un sacerdoce parce que ce n’est qu’en elle que réside le véritable sacerdoce, le véritable prêtre, dont les offrandes et les prières soient agréables à Dieu, la seule véritable Victime digne de lui être offerte sacrifice »

Pour Clorivière, les baptisés sont des pierres vivantes

Commentant la premiere lettre de Pierre au chapitre 2, verset 6, Clorivière voit les baptisés comme autant de pierres vivantes élevées sur la pierre d’angle qu’est le Christ, de manière à former une maison spirituelle, un sacerdoce saint. Notre commentateur évoque successivement un sacerdoce de l’Église, des prêtres, des fidèles : « L’Église est un sacerdoce parce que ce n’est qu’en elle que réside le véritable sacerdoce, le véritable prêtre, dont les offrandes et les prières soient agréables à Dieu, la seule véritable Victime digne de lui être offerte sacrifice ».

Il développe ensuite : « Elle est un sacerdoce parce que les pierres vivantes en sont les prêtres ;

– plusieurs d’une manière parfaite, comme ayant été choisis parmi les hommes et établis pour traiter avec Dieu des choses qui concernent le salut des hommes et pour lui offrir en leur nom des dons et des sacrifices ;

– tous en général (= tous les fidèles), d’une manière moins parfaite, parce qu’ils offrent, par les mains des prêtres, la Victime pure et sans tache, et par eux-mêmes le sacrifice des lèvres, des prières, des louanges, des actions de grâces, celui de leurs bonnes œuvres et de leurs actions vertueuses, enfin, celui de leur corps, comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu. »

c’est « manquer à son devoir de ne pas s’immoler sans cesse en union avec le Christ et de ne pas mettre toutes ses énergies, les puissances de son âme, les membres de son corps, sa naissance, sa langue, ses forces, sa santé, sa vie […] pour rendre gloire à Dieu ».

Sacerdoce des prêtres et sacerdoce des fidèles

D’autres commentaires déploient davantage sa distinction entre le sacerdoce des prêtres, présenté comme « parfait » c’est-à-dire lié à une ordination, du sacerdoce des fidèles qu’il présente comme « moins parfait », ce que nous préférons désigner aujourd’hui par ‘ sacerdoce des laïcs’. Il rappelle d’ailleurs que c’est « manquer à son devoir de ne pas s’immoler sans cesse en union avec le Christ et de ne pas mettre toutes ses énergies, les puissances de son âme, les membres de son corps, sa naissance, sa langue, ses forces, sa santé, sa vie […] pour rendre gloire à Dieu ».

Quant aux prêtres ordonnés, leur devoir est « d’offrir le sacrifice de la Loi nouvelle, de prier publiquement pour le peuple, de lui administrer les sacrements et d’exercer les autres fonctions de leur sacerdoce »

Peuple de Prêtres et de Rois.

Pour Clorivière, les deux titres sont liés. Clercs et laïcs « sont rois parce qu’en qualité d’enfants de Dieu, ils ont droit à la royauté et que le Royaume céleste leur appartient s’ils sont pauvres en esprit, comme tous doivent l’être ».
Ainsi, tous ceux qui ont travaillé à l’extension du Royaume de Dieu participeront au triomphe du Seigneur « toute l’assemblée des justes environne son trône ». Ici Clorivière nous renvoie ‘aux cieux nouveaux et à la terre nouvelle’ promis à la fin des temps aux élus : « Tout le monde chrétien ne respire que la gloire de Dieu ».

L’Église est belle.

Dans son Commentaire du Cantique des cantiques, Clorivière déclare l’Église  Épouse glorieuse, sans tache « […], L’Eglise sera belle un jour dans le ciel. Et sans naïveté, car il sait que le visage de notre Mère nous apparaît souvent terni, ridé, sali. (Mais qui ne l’attaque et qui ne la souille ? ) notre fondateur ajoute : « Dans sa totalité, l’Église renferme dans son sein un grand nombre de pécheurs  ;  elle est le filet évangélique dans lequel se trouvent toutes sortes de poissons, bons et mauvais !anbsp;» Le péché du monde, et celui des chrétiens qui constituent l’Église, l’accable depuis des siècles. « Pourtant, elle participe singulièrement aux qualités de son divin Chef, à ces états, ces mystères, ses souffrances, ses mérites, ses vertus, sa sainteté »

Puissent ces propos de notre fondateur-nous soutenir dans les épreuves d’aujourd’hui où les confusions sont d’un autre ordre !

Michel van Herck, PCJ

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