Frédéric Fornos, prêtre jésuite, directeur international du Réseau de Prière du Pape entre 2014 et 2024 nous présente le lien entre le pape François (décédé le 21 avril 2025) et la spiritualité du cœur de Jésus
La dernière encyclique du pape François s’intitule « Dilexit nos » (« Il nous a aimés », Rm 8,37) et traite de l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ. Publiée en octobre 2024, elle a vu le jour en plein Jubilé du Cœur de Jésus, qui se conclura en juin 2025. Avec cette encyclique, à la fin de son pontificat, alors qu’il nous confiait son testament avec le chemin synodal, il nous dévoilait également la source de son ministère : Jésus.
À la source de l’Évangile.
Par son prénom et sa vie même, il a souhaité suivre les pas de saint François d’Assise, qui incarnait l’Évangile pour son temps, auprès des pauvres et des exclus, et prenait soin de notre maison commune. En tant que jésuite, c’est-à-dire compagnon de Jésus, le pape François était pétri par les Évangiles et les Exercices Spirituels de saint Ignace. Les Évangiles nous révèlent la manière même d’être de Jésus. C’était sa boussole. Saint Ignace ne parle jamais du Cœur de Jésus, mais nous invite à contempler Jésus dans les Évangiles, en le suivant sur les chemins de Galilée, comme si nous étions à ses côtés, l’écoutant et le regardant agir, toujours plus près de Lui, pour qu’un jour nous puissions être comme Lui. Il nous invite à demander la grâce d’avoir « une plus grande connaissance intérieure du Christ, qui pour moi s’est fait homme, pour que je l’aime et le suive davantage ». C’est ce que François a vécu toute sa vie, chaque jour, à la source de l’Évangile, du Cœur du Christ, au point d’être marqué par son style de vie.
À l’école des Exercices Spirituels
Les Exercices Spirituels conduisent, en effet, à un profond amour pour le Christ qui culmine dans ce que nous appelons la « Contemplation pour parvenir à l’amour », où, en reconnaissant tout le bien reçu, grandit en nous le désir « d’aimer et de servir Dieu en toutes choses ». Et cela jusqu’à l’offrande totale de soi-même, ne demandant que la grâce de l’aimer (ES 234). Les Exercices Spirituels conduisent au Cœur de Jésus, même si, comme tel, le mot « cœur » n’y apparaît pas. Toute la hauteur, la longueur, la largeur et la profondeur de l’Amour se sont données à voir en Jésus. La mission du pape François, dans la docilité à l’Esprit, prend source dans un profond amour personnel pour Jésus-Christ.
À la lumière des béatitudes et de Matthieu 25
C’est évident lorsque nous le connaissons, lorsque au long de ce Pontificat, nous avons écouté ses paroles et vu les gestes qu’il posait. En fait, sa vie et ses gestes parlent plus que ses paroles. Les paroles, nous pouvons sans cesse les interpréter et même les détourner en les mettant hors contexte, mais les gestes, c’est plus difficile. On peut vouloir ne pas les voir, et les Évangiles montrent bien que nous pouvons avoir des yeux et ne pas voir, des oreilles et ne pas entendre, mais les gestes demeurent. Ceux qui ont un « cœur de pauvre », ceux qui sont les plus simples, ce sont ceux qui voient, qui entendent. C’est aussi ce que dit Jésus lorsqu’il nous révèle son cœur à travers les béatitudes.
L’Évangile à l’œuvre se reconnaît avec un cœur de pauvre qui se laisse toucher.
La manière d’être du pape François était fraternelle, simple, pleine d’humour. Nous avons été nombreux à percevoir que lors des rencontres avec lui, nous étions uniques, comme s’il avait tout le temps pour nous, pour nous accueillir et nous écouter. Sa capacité d’écoute était exceptionnelle. Rarement rencontre-t-on des personnes qui sont totalement présentes, sans être distraites par leurs pensées. Il écoutait avec le cœur. C’était un père spirituel. Il nous renvoyait ensuite ce qu’il avait entendu, perçu en profondeur, ce qui avait résonné en lui en écoutant, pleinement attentif aux motions spirituelles, dans une attitude de discernement.
Devant lui, comme directeur international du Réseau de Prière du Pape, je n’ai jamais senti, comme parfois devant d’autres personnes, qu’il se situait par-dessus, à distance, ou bien cherchait à exercer un quelconque pouvoir. Il exerçait une autorité naturelle, paternelle, et à la fois fraternelle comme jésuite, sans chercher à imposer ses vues ou à orienter telle ou telle décision, mais dans un dialogue, pour chercher ensemble ce qui convenait le mieux. C’était un homme de prière et de discernement. Sa simplicité dans sa vie et son langage même, direct, plein de petites histoires, de paraboles de la vie quotidienne, disaient mieux que tout que Jésus, sa manière d’être, son cœur, était sa source.
Se laisser « miséricordier » par Dieu.
N’oublions pas le nombre de fois où il a souligné l’importance de la miséricorde. Bien sûr, de manière spéciale avec l’ »Année Sainte extraordinaire » dédiée à la Miséricorde Divine (du 8 décembre 2015 au 20 novembre 2016), qui avait pour devise « Miséricordieux comme le Père » (Luc 6,36). Combien de fois a-t-il rappelé : « Dieu ne se lasse jamais de pardonner, c’est nous qui nous lassons de recourir à sa miséricorde ». La miséricorde du Cœur du Seigneur est centrale dans la vie de François et dans son pontificat, au point que la devise officielle du pape François est « Miserando atque eligendo », ce qui peut être traduit par « Choisi parce que pardonné ». Il en a même créé un néologisme. Il utilise le verbe « misericordiar » en espagnol (sa langue maternelle), qu’on pourrait traduire en français par « miséricordier » ou « être miséricordié ». « Laissez-vous miséricordier par Dieu », laissez-vous activement toucher, transformer et guérir par cette miséricorde du Seigneur.
Le Cœur de Jésus, un antidote face aux tentations de notre temps.
Je me souviens d’un jour où j’ai présenté au Pape François l’itinéraire de formation du Réseau Mondial de Prière du Pape, qu’on appelle « Le Chemin du Cœur », et qui est un renouvellement de la spiritualité du Cœur de Jésus à la lumière des Exercices Spirituels. Chaque mois, en effet, il demande de prier pour les défis de l’humanité et de la mission de l’Église, nous aidant ainsi à apprendre du Cœur du Christ la compassion. Il me dit lors de cette rencontre que la spiritualité du Cœur de Jésus était un antidote pour les deux tentations de notre temps, le gnosticisme et le pélagianisme, dont il parle dans Gaudete et Exsultate. D’une part, face au pélagianisme, la spiritualité du Cœur du Christ met l’accent sur la gratuité de l’amour de Dieu et notre dépendance à sa miséricorde, nous rappelant que notre salut est un don, non un mérite. Le Cœur de Jésus est la source de cette grâce, une invitation à nous rendre dociles à l’Esprit du Seigneur plutôt que de compter sur nos propres forces. D’autre part, face au gnosticisme, elle nous rappelle l’amour incarné de Dieu en Jésus-Christ, nous évitant ainsi une compréhension purement intellectuelle de la foi. De plus, cette spiritualité nous enseigne que la connaissance de l’amour de Dieu passe par le cœur, par l’expérience et la relation, plutôt que par une pure spéculation intellectuelle.
Le Cœur de Jésus est un antidote à la « globalisation de l’indifférence ».
Comme il le rappelait aux communautés Laudato Si en 2020, « la compassion est le meilleur vaccin contre l’épidémie d’indifférence ». « La compassion, ce n’est pas des beaux sentiments, ce n’est pas du piétisme, elle crée un nouveau lien avec l’autre. C’est prendre en charge, comme le bon Samaritain qui, ému de compassion, prend soin de ce malheureux qu’il ne connaît même pas (cf. Lc 10, 33-34). Le monde a besoin de cette charité créative et effective, de personnes qui ne restent pas devant un écran à commenter, mais de personnes qui se salissent les mains pour enlever la dégradation et restaurer la dignité. Avoir de la compassion, c’est un choix : c’est choisir de ne pas avoir d’ennemis pour voir en chacun mon prochain. Et c’est un choix. »
Priez avec moi
Je ne retiens pas le plaisir de finir en rappelant ce que le Pape François disait en juin 2020 sur le Cœur de Jésus :
une dévotion qui unit les grands maîtres spirituels et les gens simples du peuple de Dieu. En effet, le Cœur humain et divin de Jésus est la source d’où nous pouvons toujours puiser la miséricorde, le pardon et la tendresse de Dieu. Nous pouvons le faire en réfléchissant sur un passage de l’Évangile, en ressentant qu’au centre de chaque geste, de chaque parole de Jésus, se trouve l’amour, l’amour du Père qui a envoyé son Fils, l’amour de l’Esprit Saint qui est en nous. Et nous pouvons le faire en adorant l’Eucharistie, où cet amour est présent dans le Sacrement. De cette manière, notre cœur aussi, peu à peu, deviendra plus patient, plus généreux, plus miséricordieux, imitant le Cœur de Jésus. Il y a une ancienne prière – que j’ai apprise de ma grand-mère – qui disait : « Jésus, fais que mon cœur ressemble au tien ». C’est une belle prière. « Fais que mon cœur soit semblable au tien ». Une belle prière, simple, à réciter ce mois-ci. » Nous pouvons nous aussi la murmurer dans le silence de notre cœur : « Jésus, que mon cœur soit semblable au tien