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Albert Rouet, archevêque émérite de Poitiers, nous fait l’amitié de cette tribune. Il nous partage ses réflexions sur la place du chrétien en plein monde et la manière dont notre vocation baptismale nous invite à chercher des solutions pour continuer d’espérer.

Pour les chrétiens de France, les temps sont difficiles. Une interminable série d’abus sexuels, de pressions morales et spirituelles accable les croyants au moment où s’étend une sécularisation triomphante, alors que la baisse de la pratique religieuse et son vieillissement deviennent manifestes. L’institution ecclésiale qui devrait conforter les fidèles perd son crédit. Elle consacre ses forces à réagir devant les scandales. Elle s’exténue à gérer la pauvreté croissante d’un système territorial à bout de souffle par des rafistolages qui ne changent rien. Les incantations sur la mission, les exultations passagères et émotives s’élèvent en creusant l’écart entre quelques flots revendiquant leur identité et la masse désemparée, voire déçue, des catholiques. L’influence dans la société s’effondre.

Faire preuve de réalisme

Le constat est sombre mais réaliste. La moindre étude de l’histoire de l’Église révèle des périodes tout aussi difficiles. Sans atténuer le mal ni se voiler la face, l’Évangile met en lumière des mélanges désastreux (l’ivraie : Mt 13,24), des défections (Mt 13,22), voire des trahisons (Mt 10,21). L’Église idéale est un rêve dangereux qui entraîne des désillusions fatales. Quand il décrit l’Église de Corinthe, Paul se montre beaucoup plus réaliste (1 Co 6,9. 11).

Comment présenter le message du Christ

La situation exige donc une analyse objective et équilibrée pour savoir comment réagir, sans peur ni ressentiment. Elle invite surtout à créer du nouveau. La véritable solution aux crises a toujours été l’innovation. Tout retour en arrière enferme dans l’impasse de restaurations qui ne reconstituent le passé que par crainte ou refus du présent. L’histoire ne se répète pas. Elle invente et oblige à saisir dans ce qu’elle offre comment présenter le message du Christ. Le Concile Vatican II affirme que le monde des hommes présente les pierres vivantes pour édifier l’Église (Ministère et vie des prêtres, 22). Un corps se renouvelle en s’appuyant sur d’autres corps, non en se refermant sur lui-même. C’est l’ouverture qui sauve.

Il n’existe pas d’image du chrétien idéal, sauf celle que l’ambition d’un parti chercherait à imposer

Revenir au fondement

Créer, mais à partir de quoi ? Commencer par vouloir réformer l’institution et son fonctionnement, si nécessaire que ce soit, est une conséquence et non un point de départ. Il faut partir de ce qui nous fait chrétiens : les sacrements de l’initiation chrétienne, baptême, eucharistie, confirmation. Par eux, une personne totalement incarnée dans la société et dans son époque, sans être enlevée au monde, devient un même être avec le Christ (Rm 6,5). Elle est un vivant sacrement de la présence du Christ, là où elle vit. En même temps, l’union au Christ l’attache à ceux qui vivent avec le Christ : son corps, son Église. Membres les uns des autres (1 Co 12,27). Un tel fondement caractéristique de la foi chrétienne possède deux prolongements complémentaires. 

Construire la communauté

Le premier donne à tout fidèle la liberté et la responsabilité de construire la communauté où il vit, à partir des dons que l’Esprit donne à chacun (1 Co 12,7). Il n’existe pas d’image du chrétien idéal, sauf celle que l’ambition d’un parti chercherait à imposer. Par conséquent, il faut que l’Église s’organise de telle manière que chaque baptisé puisse faire entendre sa voix, « des évêques jusqu’au dernier des fidèles laïcs » (Vatican II : L’Église, 12).

L’Église n’est pas une entreprise de culte, mais la servante du projet de Dieu : que la création devienne eucharistie

En plein monde

Le second prolongement concerne l’action dans un monde qui reste à humaniser. L’Esprit créateur impulse dans le cœur des hommes des aspirations qui sont, pour résumer, celles des Béatitudes. Dans ce domaine, le chrétien ne bénéficie d’aucune exclusivité. Il n’est pas le seul à servir la paix et la fraternité, ni le propriétaire des dons que Dieu fait aux hommes. Il en détecte la présence et reconnaît les signes du monde que Dieu désire façonner avec l’humanité, le Royaume. Là, il jouit d’une grande liberté et de capacité d’initiative et de collaboration.

L’Église, servante

D’ailleurs, l’Église évoluera si elle se décentre d’elle-même pour s’engager dans les aspirations profondes des hommes. Elle n’est pas une entreprise de culte, mais la servante du projet de Dieu : que la création devienne eucharistie.

Un nouveau fonctionnement

L’Église est une communion de différences ! C’est tardivement qu’elle a pris cet aspect pyramidal si clivant aujourd’hui, alors que Vatican II insiste sur l’égalité radicale des baptisés (L’Église, 32). Il a fallu passer de l’attraction d’une cité au quadrillage territorial, et que la lutte pour l’indépendance de l’Église face aux prétentions des princes entraîne des structures dont on constate aujourd’hui l’obsolescence et l’incapacité, sauf subterfuges, à les faire vivre.

Le cumul des pouvoirs

Un fonctionnement centripète conduit les clercs à cumuler les pouvoirs, tant la pression du système l’emporte sur la bonne volonté des personnes. Cette composition historique donc contingente laisse la possibilité d’autres organisations. C’est bien l’enjeu des réformes indispensables, sinon le poids culturel de la féodalité rendra impossible toute évolution de la figure de l’Église.

Revoir le rôle du prêtre

Ce n’est pas l’existence du prêtre qui est en cause, contrairement à ce que clame l’immobilisme, mais son rôle. Celui-ci doit évoluer de manière à ce que, délié de devoir tout régenter, il puisse, de chrétiens divers, édifier le corps du Christ (Ep 4,12), se consacrer à l’annonce de la Parole et à l’animation spirituelle des communautés. Cette mission suppose de diversifier les ministères des prêtres à partir de leur appartenance à un même corps, le presbyterium.

Les pires dangers aujourd’hui ne gisent pas dans la crise ni dans la pauvreté. Ils seraient dans le manque d’initiative et le statisme, car cela reviendrait à s’adapter à la misère. Nul n’a peut-être la solution définitive. Il faut donc le courage d’en présenter plusieurs. Cela s’appelle l’espérance.

+ Albert Rouet
Archevêque émérite de Poitiers

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