Gérard Defois, ancien archevêque des diocèses de Sens-Auxerre, Reims et de Lille nous invite à renouer avec l’espérance pour l’Église et le monde. Il nous invite à nous centrer davantage sur le Christ pour espérer contre toute espérance. Le Christ n’est pas venu pour les justes mais les pêcheurs.
L’espérance du Salut
« Il est dit, dans un passage de l’Écriture : Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. Cela signifie que le Seigneur cherche parmi ceux qui se perdent, ceux qu’il lui faut sauver. C’est en effet une œuvre grande et admirable d’affermir non pas les édifices solides, mais ceux qui s’écroulent. C’est ainsi que le Christ a voulu sauver ce qui était perdu, et qu’il a été le salut de beaucoup, lui qui est venu et qui nous a appelés alors que déjà nous étions perdus. » Homélie du IIe siècle.
Le jour où cette réflexion spirituelle m’a été demandée pour vous, le livre de l’office liturgique citait cette homélie anonyme du deuxième siècle, commentant ce passage de l’évangile de Marc où Jésus répond à des pharisiens qui voient d’un mauvais œil Jésus à table avec des pécheurs de toutes tendances et de tout passé. Il ajoute même pour illustrer son propos : « Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. »
Avec le Christ au milieu des souffrants
Ainsi l’Église est à sa place là où des gens vont mal, comme Jésus elle traverse des foules de mal en point et de gens peu solides, voire peu équilibrés. Les apôtres eux-mêmes d’abord, loin d’être des saints, ils se battaient pour savoir qui serait le premier dans le Royaume de Dieu, Jésus va jusqu’à faire porter l’évangile par des émules de Judas ou des zélotes révoltés. Il annonce la santé et la paix parmi et avec les mal-portants. Il n’est pas étonnant alors que notre pape François compare notre Église à un « hôpital de campagne », soignant les blessés de la vie et les impotents de la conscience.
Annoncer l’Évangile ce n’est pas faire un catéchisme pour « enfants de chœur », mais guérir les boiteux de l’âme, soigner les paralysés du cœur, fûssent-ils des membres du clergé, des personnages des bonnes œuvres ou d’éminents professeurs de théologie
Guérir les boiteux
Annoncer l’Évangile ce n’est pas faire un catéchisme pour « enfants de chœur », mais guérir les boiteux de l’âme, soigner les paralysés du cœur, fûssent-ils des membres du clergé, des personnages des bonnes œuvres ou d’éminents professeurs de théologie. Et Jésus souligne émerveillé la foi des pauvres et des petits, il s’émerveille de la confiance des étrangers et fustige chez ses frères une religiosité ostentatoire : « ce peuple m’honore des lèvres mais son cœur est loin de moi. »
« Venu pour les mal-portants. »
C’est pour cela qu’il me semble que s’il est juste de dénoncer le Mal qui ravage les actes et les paroles dont la presse ou nos réflexes courants nous inondent, il n’est pas chrétien d’en rester à des condamnations et à des émotions sidérées. Il me semble que nos journaux et nos sermons demeurent souvent crispés sur des protestations de « saules pleureurs» abîmés dans une amère désolation. S’il est essentiel, par ailleurs que l’on relève et aide au nom de la justice toute victime de l’égoïsme passionnel des certains, il est capital que le regard chrétien sur le mal soit aussi inspiré par le salut qui guérit et le geste solidaire qui remet debout.
La force de l’espérance
Mais pour ce faire il est urgent que l’on évangélise le regard du chrétien sur la faute, que l’on ne se contente pas de pleurer jusqu’à nous désespérer, mais qu’appuyés sur la force de l’Esprit nous osions ensemble reprendre la route d’Emmaüs où apparait le ressuscité. Il me semble qu’en rester à une culpabilité exaspérée par une médiatisation irresponsable nous amène à perdre de vue le message du Christ sur le mal. Dieu n’est pas venu nous persécuter par une culpabilisation agressive mais nous responsabiliser en engagements de pardon, de miséricorde et en communion d’amour.
Rends-nous libres face au Mal
Il ne s’agit certes pas de banaliser le mal, de quelque nature qu’il soit, mais de le situer dans l’horizon du salut. Chaque eucharistie culmine dans la prière reçue du Seigneur « Ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal. »Ce qui est repris par le prêtre célébrant : « délivre-nous de tout mal et donne la paix à notre temps. »1
Redécouvrir la grâce de notre baptême
Dans le sacrement de l’Église, Dieu nous rend notre liberté baptismale : « La qualité de ma foi s’évalue dans le regard que je porte sur le Mal ? Le mien qui me lie, celui du monde qui me déçoit ou me révolte. L’amour du bien se vérifie dans l’attention miséricordieuse que je porte sur le mal qui blesse et détruit : le mien et celui des autres, dont ils souffrent et dont ils souhaiteraient être libérés. Jésus n’a pas eu peur du mal, il ne l’a pas caché derrière une muraille de précautions, Jésus reste libre en face du Mal en ce Monde.
Un monde de fractures
Notre époque récente nous a fait apparaître de multiples fractures spirituelles morales dans nos sociétés. Certes, ce fut la pandémie du Covid 19 venue de Chine et ensuite répandue dans l’ensemble de notre terre. Il en est issu un sentiment de vulnérabilité physique et révèle notre impuissance devant la mort, mais aussi une culpabilité commune devant la disparition d’un grand nombre de personnes âgées abandonnées aux incertitudes sanitaires. Ceci fut d’autant moins supportable que l’on découvrait dans la presse les concurrences économiques agressives entre les producteurs de vaccins. Ce qui nourrissait le sentiment d’une dépendance immorale de la vie par rapport aux puissances du pouvoir de l’argent ou de la politique.
Une Église fragilisée
Mais en même temps l’Église elle-même fut fragilisée par une radicale diminution de prêtres et de religieux, par un affaiblissement des groupes de jeunes qui devaient apporter leur dynamisme aux lendemains de nos régions naguère riches des fruits du Concile Vatican II.
C’est peut-être parce que nous avions trop compté sur nous-mêmes et sur nos forces humaines que Dieu nous invite dans cette épreuve de faiblesse à retrouver la prééminence de sa grâce dans l’expansion de sa chrétienté. Naguère puissance politique, celle-ci se tisse à nouveau dans une foi plus personnelle et moins confiante en nos actuelles compétences. L’Église grandit par la foi et non par des artifices techniques, et cela nous remet dans les perspectives e saint Paul : « c’est lorsque quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. 2»
Synodes
C’est pourquoi le Pape François a déjà perçu les ambiguïtés de la situation de l’Église, il sera capital que l’on reçoive tout ce qui va mûrir durant cette année dans les diocèses et les régions au cours des deux synodes mondiaux. Cette concertation- qui n’est pas un parlement où s’opposent des forces contradictoires- est préconisée pour consulter les chrétiens du monde, entendre les appels de tous les horizons, retraduire le salut reçu du Christ comme un don de l’Esprit à travers les multiples communautés catholiques d’aujourd’hui. C’est bien l’audace de l’espérance en la fidélité de Dieu à son Église que le pape François remet au premier plan de l’avenir de la mission apostolique.
L’espérance c’est laisser Dieu faire l’avenir
La confiance en l’homme et en ses modifications structurelles ne suffit pas, nous sommes mis en demeure de laisser Dieu faire l’avenir de son Église par une prière intérieure où l’humilité et la pauvreté génèrent les communautés et les chemins de l’avenir. En ce sens nous sommes mis en demeure de compter sur la grâce de Dieu pour favoriser l’éclosion de ce que nos successeurs trouveront comme le don essentiel du Seigneur qui ensemence la foi dans l’histoire concrète.
Redécouvrir Vatican II
Mais déjà retrouvons ce que le Concile Vatican II, trop souvent méconnu, comme le grenier où nous attendent des semences pour l’Église de demain. La plus grande stérilité de ces dernières décennies vient de l’ignorance des catholiques : ils ne connaissent pas et ne transmettent pas ce que le visage du Père révèle en Jésus à travers sa résurrection et l’envoi de l’Esprit de Dieu. Il nous faut réapprendre à espérer malgré le Mal qui explose en ces temps difficiles.
Ainsi que le soulignait l’apôtre Paul aux chrétiens de Thessalonique : « Dieu ne vous a pas voués à subir sa colère, mais à entrer en possession du salut par Jésus-Christ… C’est pourquoi il faut vous réconforter mutuellement et vous édifier… »
Gérard Defois
Archevêque émérite de Sens, Reims et Lille